LIVRES
Êtres
aux Passages de la Vie
de Françoise Moquin et Michèle Blanchard,
publié aux Éditions Samsarah
PRÉFACE
DE JEAN-CHARLES CROMBEZ
Toute épreuve
peut être prise à la manière d'une pierre. Elle
peut sévir comme une massue ou servir à une fondation.
On pourra toujours affirmer que ces épreuves sont sensées
(" Ce n'est pas par hasard ", " Cela veut sûrement
dire quelque chose "), on pourra toujours douter au contraire
de leur signification intrinsèque (" Quelle absurdité!
", " Ceci était imprévisible "), il
n'empêche que ces épreuves nous ramènent finalement
à l'existence et à la mort, aux formidables pouvoirs
de la vie et à ses profondes limites, à ce qu'on peut
en penser, à ce qu'on peut en ressentir.
Mais il ne faudra
certainement pas tenter de convaincre celui qui l'éprouve,
cette épreuve, de nos convictions : celle du bienfait supposé
des drames de l'existence ou au contraire de l'aberration absolue
de ceux-ci. Il n'est d'épreuve que personnelle, et de parcours
que personnels. Il est impossible de se mettre à la place
de l'autre; on peut tout juste être à côté,
au mieux être avec. Dès lors on ne peut qu'entendre
les sens donnés par celui qui les reconnaît ou soutenir
celui qui éprouve les non-sens suspendus.
Et puis les
épreuves, les crises, les événements ne nous
ramènent pas qu'à nous-mêmes : en nous ramenant
à tout et à rien, ils nous ramènent à
tous. Un événement n'est jamais individuel; il implique
tout un chacun, si l'on prend la peine d'ouvrir les yeux, le cur
et l'intelligence. On peut nommer cela empathie, bénévolat,
compassion, service public ou activité communautaire. Un
drame est une mise en évidence d'une solitude et une mise
en jeu d'une entraide.
À charge
de revanche pourrait-on dire? Alors demandez à ces gens qui
accompagnent, s'ils en attendent quelque retour plus tard. Ils vous
regarderont étonnés et vous répondront que
la rétribution est déjà acquise dans le moment
présent, et bien plus intense que ce qu'ils pourraient ou
pouvaient penser en recevoir. La vie est sans doute une affaire
limitée dans le temps, mais elle porte de multiples moments
de perception d'éternité. Et voilà ce que vivent
ceux qui accompagnent : une indicible découverte. La vie
est peut-être, vaille que vaille , portée individuellement,
mais elle semble se conjuguer collectivement.
Nous sommes
conviés à entrer dans ce lieu, à en partager
le quotidien : la maison, les acteurs, les histoires, les incidents.
Point de grands sermons, point de déclarations à l'emporte
pièce. Plutôt on y découvre une attention quotidienne,
une réflexion sur chaque situation, au fil des heures et
des personnes. Une sorte d'humilité, de simplicité
s'en dégagent, mais aussi une tendresse certaine. Une implication
dans des petites choses qui permet le flux de grandes choses. Toujours
avec, toujours ensemble; une solidarité qui se révélera
contagieuse.
Nous sommes
aussi conviés à l'intérieur de la rencontre
des personnes et des intervenants, de leurs joies et de leurs peines,
de leurs peurs et de leurs questions. Des rencontres décrites
de l'intérieur. Alors on y trouve les manières de
réagir, humainement, des personnes malades : des moments
où l'on rejettera tout le monde, des moments où l'on
se rejette soi-même; des instants de délaissement,
des instants de désespoir. Alors on y trouve aussi ces manières
de fléchir et de réfléchir chez les intervenants
et les bénévoles : les lassitudes et les gratitudes
qui parsèment le présent, les vicissitudes qui émanent
du passé et les incertitudes qui brouillent l'avenir. Tous
des gens très respectables : jamais sûrs, pas toujours
présents, toujours en questionnement.
Et nous sommes
conviés à l'intérieur d'une recherche. Une
recherche sur eux-mêmes, sur leur action, sur ses effets.
Par ci par là, on tente de mettre en relief, en italiques,
des lignes de savoir, des lignes de conduite. Mais on sent bien
qu'elles ont davantage une fonction de réassurance que de
réglementation, une fonction d'indicateurs plus que de prescriptions.
En effet, il ne faudrait pas les voir comme des injonctions à
écouter mais comme des propositions à entendre. Parce
que le sujet, les sujets, ne saurait s'y conformer, parce que ce
qui se passe ici dépasse toute ordonnance, toute prévision.
Nous sommes aux confins de la mort, donc de la vie.
Et c'est cette
vie qui est finalement et profondément le meilleur des repères
: vivable ou pas vivable? Critère qui vaut pour une, pour
deux, pour l'ensemble de ces personnes, malades pour certaines,
intervenantes pour les autres. Allez donc savoir, au bout du compte
et au fond d'elles-mêmes, lesquelles sont lesquelles! Et tout
autant parmi nous et en nous, nous qui lisons ce livre. Je veux
dire : allez donc savoir ce qui, chez nous, souffre de cette limite,
de ce qui nous rend malades et ce qui, chez nous, tient de ce pouvoir
qui permet la compassion, la bienveillance envers nous-mêmes.
Né
à Lille dans le Nord de la France, Jean-Charles Crombez vit
au Québec depuis plusieurs années. Il est psychiatre,
psychanalyste et psycho-somaticien. Il est conférencier,
communicateur, notamment au Québec, en France, en Suisse
et en Chine. Il est professeur invité sur des thèmes
portant sur le corps et la thérapie, la psychosomatique et
les processus de guérison. Il est responsable du programme
de psychothérapie aux départements de psychiatrie
du CHUM et de l'Université de Montréal.
De
plus, il dirige une équipe de recherche au CHUM (hôpital
Notre-Dame) sur les processus de guérison avec laquelle il
élabore un outil de travail appelé " La
méthode ECHO ". Il est l'auteur des livres " La
guérison en ECHO " et " La personne en
ECHO ".
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